Après le Louvre, le Musée Carnavalet remplace les chiffres romains par des chiffres arabes
Après le Louvre, le Musée Carnavalet a décidé de remplacer (…)
Lire la suitePublié le 8 novembre 2020
d’après Ryadh Benlahrech, Jeune Afrique, 7 novembre 2013
Leur indépendance acquise, l’Algérie, le Maroc et la Tunisie ont choisi d’arabiser leur enseignement pour contrebalancer l’acculturation imposée par l’ancienne puissance coloniale. Tous ont fait de l’arabe classique – qu’il ne faut pas confondre avec les dialectes souvent utilisés dans la vie courante – leur langue officielle. Un demi-siècle plus tard, les experts dénoncent les dégâts de cette politique.
« Une réforme de l’éducation est indispensable. Nous n’arrivons pas à sortir de cette transition entamée depuis l’indépendance », note Farouk Moukah, directeur de l’Institut international de management (Insim) d’Alger. Et d’ajouter : « En fin de cycle universitaire, de nombreux diplômés sont faibles en français et en arabe. Ce qui réduit leurs chances d’embauche. »
Le phénomène a pris tellement d’ampleur qu’on qualifie désormais ces étudiants de « nilingues ». « La faiblesse en langue des nouvelles générations est un gros problème en Algérie. Ce manque de compétence linguistique ne favorise pas l’ouverture du pays à la mondialisation », déplore Mohamed Benrabah, professeur de linguistique anglaise à l’université Stendhal-Grenoble 3 (France).
Devenu une langue étrangère à part entière, le français est enseigné à partir de la troisième année de primaire à raison de trois heures par semaine et de cinq heures l’année suivante. Les matières scientifiques sont également étudiées en arabe, ce qui limite le champ de recherche des étudiants à l’université, car une grande partie des ouvrages de référence ne sont disponibles qu’en français ou en anglais. Faut-il y voir une conséquence directe? Seulement 20 % des étudiants valident leur première année dans les facultés de sciences.
Au Maroc, l’arabisation imposée à partir des années 1980 fait aussi débat. Son bilan est pourtant moins dramatique qu’en Algérie, où la guerre d’indépendance a provoqué un repli idéologique vers l’arabe. Sans parler des effets positifs de la présence des écoles de la Mission laïque française et du poids du secteur touristique dans l’économie.
« Je ne vois pas l’intérêt d’enseigner en arabe à l’université. Cela ne prépare pas au monde du travail. Nous demandons un retour à la francisation depuis 2004 », déclare Asmae Benthami, professeure à la Faculté des sciences juridiques, économiques et sociales de Salé, dépendant de l’Université Mohammed V-Souissi de Rabat. « Personne n’ose dire qu’il faut revenir à un enseignement bilingue, voire trilingue, si on veut que les étudiants puissent suivre leurs cours en anglais ou en français à l’université », renchérit Jawad Kerdoudi, président de l’Institut marocain des relations internationales.
Pour Karim Bernoussi, PDG d’Intelcia, startup marocaine, « le système éducatif marocain vit un grand malaise dû aux multiples réformes non abouties. Et l’arabisation a eu un impact très négatif ».
Mieux lotie que ses voisins, la Tunisie bénéficie d’un système d’enseignement bilingue où le français n’a jamais disparu. « La Tunisie est le pays qui a le mieux conduit son arabisation, car celle-ci y a été conçue et réalisée dans un cadre de bilinguisme arabe-français et dans un esprit de valorisation du passé et d’ouverture au monde moderne et laïc », estime Gilbert Grandguillaume, anthropologue et spécialiste du Maghreb et du monde arabe. Mais, là encore, pas de miracle, la langue française est de moins en moins bien maîtrisée, selon un rapport publié en 2010 par l’Organisation internationale de la francophonie.
Sans remettre en cause l’arabisation au Maghreb, il conviendrait de l’insérer dans un cadre multilinguistique. Selon Grandguillaume, « le niveau linguistique des étudiants a baissé en raison des réformes désordonnées et incohérentes ». Face à l’incurie du système public, on assiste depuis une décennie au développement de l’enseignement privé dans tous les pays du Maghreb. Au Maroc, de plus en plus d’établissements privés préparent au baccalauréat français, qui reste la voie royale pour être admis dans les meilleures écoles de commerce ou d’ingénieur du royaume. Mais avec des frais de scolarité dépassant souvent 1 000 euros par an, ces formations demeurent réservées aux classes moyennes et supérieures.
La maîtrise du français est devenue un marqueur social qui laisse sur la touche une grande partie de la jeunesse. Même si le débat existe, aucune décision politique pour rectifier cette situation n’est à l’ordre du jour au Maghreb. À terme, « c’est l’anglais qui pourrait surpasser l’apprentissage du français », s’inquiète Mohamed Benrabah.