Choquant d’harmonie
Cours de versification française
Édition du dossier BGE Ms. fr. 3970/f, donné à l’Université de Genève de 1900 à 1909, et Archives de Saussure, «Cahier Parny», 379/9 – Textes établis et commentés par Francis Gandon
Ferdinand de Saussure a donné, de 1900 à 1909, un cours de versification française « du XVIe siècle à nos jours » à l’Université de Genève.
Ce cours, dont restent des notes disparates, n’a pas bonne presse, ou plutôt il n’en a pas du tout. En partie contemporain du cours de linguistique générale, des recherches sur les Anagrammes et de la sémiologie de la légende germanique, il retient peu l’attention des chercheurs.
Travail mineur ? On ne niera pas son caractère scolaire : donner un cours de versification, c’est enseigner à versifier. Il a par ailleurs peu à voir avec les enseignements et recherches connexes, même si l’on repère çà et là des concepts de linguistique générale – ainsi un vers sera-t-il dit « choquant d’harmonie » par comparaison avec ce qui précède. C’est que Saussure, dès qu’il s’empare d’un sujet, lui ouvre des perspectives maximales, tant par conscience professionnelle que par goût de l’épistémologie.
Vu de près, comme il le mérite, ce cours est le récit d’une révolte : révolte contre l’ineptie des « règles » qui ont brisé Racine ; révolte contre une « rimerie » où c’est faire de mauvais vers qui est difficile. Le Genevois retrouve les accents du météore de la poésie métrique, Jacques de la Taille, qui, au xvie siècle, pour contrer les « rymasseurs », tenta de faire du français une langue à quantités. Rimbaud y réussit. Saussure s’y essaie !
Révolte contre la platitude de l’accent tonique à quoi il oppose l’ictus, démarche absolument solitaire : aucun traité de versification n’en parle, au moment même où, grâce précisément à l’ictus, l’École de Solesmes métamorphose le plain-chant en un grégorien originel plausible.
On pourra s’attrister que Saussure n’ait fait qu’esquisser ces directions révolutionnaires. Elles n’en sont pas moins cardinales.