Dictionnaire national et anecdotique (1790)
« Dictionnaire national et anecdotique : pour servir à l’intelligence des mots dont notre langue s’est enrichie depuis la révolution, et à la nouvelle signification qu’ont reçue quelques anciens mots, enrichi d’une notice exacte et raisonnée des journaux, gazettes et feuilletons antérieurs à cette époque, avec un appendice contenant les mots qui vont cesser d’être en usage (…) (1790) ».
La Révolution a-t-elle changé la langue française ? Oui, répond Garat en 1798, dans la cinquième édition du Dictionnaire de l’Académie. Non, répondent, en 1832-1835, les Académiciens installés par la Restauration, pour qui «les choses humaines ne marchent pas ainsi». Le débat a d’abord été orienté par les points de vue politiques, et les linguistes en ont gardé quelque réticence à se prononcer. On propose de s’en rapporter au témoignage d’un grammairien qui a vécu l’événement, Pierre-Nicolas Chantreau. Il raconte : «Je fus vivement frappé de voir notre Langue s’enrichir chaque jour d’une foule de mots qui caractérisent un peuple libre. Je m’écriai : je suis libre aussi, moi !». Estimant que «l’homme de lettres doit servir l’état dans son cabinet», il publie dès 1790 un dictionnaire qu’il souhaite voir «devenir le manuel des politiques», mais dédie aux «représentants de la Commune de Ris». Émule de Voltaire, il ne résiste pas au plaisir de changer l’abbé Mauri en bonze Urima ni de détourner ses articles pour nous informer par exemple que «lanterner, verbe actif», «n’est en usage que dans le haut style». Entre lexicographie et satire, il retient et commente plus de trois cents mots, nous offrant, du lexique révolutionnaire, la première analyse d’envergure. Le Dictionnaire national et anecdotique présente quelques signes nouveaux (bureaucratie, contre-révolution, guillotine, lèse-nation, sous-amendement), mais ce qu’il décrit de plus intéressant pour nous, c’est la transformation des signes anciens par le changement de la référence. Ainsi lira-t-on à l’article Abus : «Il n’est point de mot auquel la révolution ait fait subir de plus étrange métamorphose et ce que les François libres appellent aujourd’hui abus, l’ancien régime le nommoit droit. C’étoit un droit, par exemple, de ne rien payer à l’État parce qu’on portoit une jaquette». Presque rien n’a changé dans la langue française, et pourtant tout est différent.