Introduction à la linguistique kurde
Suite à la partition de l’Empire ottoman par le traité de Lausanne en 1923, la quasi-totalité des populations Kurdes (aujourd’hui 30 à 40 millions de personnes) ont été partagées entre la Turquie, la Syrie, l’Irak et l’Iran où ils constituent d’importantes minorités soumises à des régimes autocratiques et totalitaires hostiles. Luttant pour préserver leur langue dans des pays à systèmes d’écritures différents, les Kurdes ne sont pas parvenus à faire émerger un standard permettant d’assurer l’intercompréhension entre un grand nombre de dialectes régionaux et un nombre plus considérable encore de parlers locaux. La variété la plus importante est le kurmanji à laquelle Salih Akin consacre ici des études linguistiques et sociolinguistiques largement ancrées dans l’histoire politique récente du Moyen-Orient.
Né en 1968 en Turquie, Salih Akin est professeur des universités, enseignant en linguistique générale, linguistique kurde et sociolinguistique à l’Université de Rouen, directeur adjoint du laboratoire Dylis EA 7474.
Compte rendu rapide par Louis-Jean Calvet
Je viens de lire un livre très intéressant, Introduction à la linguistique kurde, de Salih Akin (éditions Lambert-Lucas, Limoges, 2023), qui présente différents aspects de la situation des Kurdes et de leur langue. Et je voudrais en présenter rapidement un aspect révélateur
Parlé principalement dans quatre pays (l’Irak, l’Iran, la Syrie et la Turquie), sur une aire continue mais découpée en tranches par les frontières, le kurde est donc une langue minorée et parfois niée, occultée, particulièrement en Turquie ou son nom même est banni du discours public (on y parle des « autres langues que le turc »). Cette occultation concerne aussi les noms de lieux, et l’exemple de la ville de Kobané est de ce point de vue significatif. Cette ville, attaquée en 2014 par Daech et défendue par les Kurdes, était à l’origine un village dans lequel la Baghdad Railway Company a installé une gare au début du 20ème siècle, installation qui explique le développement du village. Son nom turc était Arab Pinar (« source arabe ») parce que les bergers arabes y faisaient boire leurs troupeaux, appellation qui sera traduite en arabe (aïn el arab) et que les djihadistes transformeront en aïn al-islam (« source de l’Islam). Mais les Kurdes qui y vivaient l’appelaient Kobané, adaptation phonétique de Company.
Akin décrit la façon dont, dans cet imbroglio toponymique, la presse française a rendu compte de cette bataille. Dans les titres comme dans le corps des articles, la ville est d’abord nommée aïn el arab avec, entre parenthèses, (Kobané en kurde). Puis Kobané apparaît dans les titres, avec parfois entre parenthèses la mention (Aïn el arab en arabe) ou (nom kurde d’Aïn el arab), et enfin Kobané apparaît seul, le nom kurde supplantant le nom arabe au fur et à mesure que la résistance des Kurdes à l’Etat islamiste s’affirme et qu’ils recueillent la sympathie ou l’admiration des pays étrangers. Ce qui est ici intéressant c’est que la presse va dans ses articles privilégier le nom kurde de la ville au fur et à mesure que la résistance des Kurdes semble annoncer sa victoire victoire. Ce qui nous montre que le respect des mots de l’autre (anthroponymes, toponymes, odonymes, etc.) est proportionnel au respect que l’on porte à cet autre ou que l’autre impose.