Les origines de la sémantique
de Franz Bopp à Michel Bréal
Prix Antoine Meillet 2024 de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres
En 1897, l’Essai de sémantique de Michel Bréal rendait à l’école française de linguistique une question du sens longtemps abandonnée aux lexicographes. Quatre-vingts ans plus tôt, en 1816, Franz Bopp avait fondé la philologie moderne en rupture avec la perspective philosophique des Lumières. Dix ans plus tard, en 1906, Meillet publiera un « Comment les mots changent de sens » attaquant la question sous l’angle de la sociologie, sociologie que la psychologie et l’anthropologie entreprenaient de supplanter.
Bopp avait fondé la grammaire comparée des langues indo-européennes sur l’analyse des morphèmes flexionnels et dérivationnels des noms et des verbes ; Grimm avait remis en question la ligne de partage entre phonétique et morphologie au bénéfice de la première, annonçant l’arrivée de la phonétique expérimentale ; Pott s’était interrogé sur les racines et les étymologies des langues d’Europe, ce qui mènera à la « paléontologie linguistique » de Pictet puis à la « mythologie comparée » de Müller. Autant de jalons qui permettent de mesurer à quel point Michel Bréal s’est écarté des interprétations ethniques et raciales – indo-germanistes, aryanistes – des rapports entre la pensée, le monde et la langue. Son Essai de sémantique ne saurait se comprendre sans rappeler que l’auteur était, comme Alfred Dreyfus, un Alsacien d’origine israélite, comme on disait à l’époque.