Lyrisme de l’homme ordinaire. Dix études sur la littérature américaine moderne
Quel usage décisif de la langue peut-il mériter le qualificatif de littéraire? C’est cette question que Pierre Gault aborde ici à partir d’auteurs aussi divers que Hawkes, Agee, Carver, Updike, Dillard, Faulkner, Gass, Paley ou Nabokov. L’enjeu est clair : par nature et par définition, le langage littéraire doit conjoindre deux ordres de fins contraires. Il doit dire un monde inouï et raconter des histoires neuves mais il doit aussi convaincre que ce projet même est illusoire. La moindre mise en mots convoque immanquablement le déjà-dit et le banal. Nul ne saurait dire ce monde-là vu par ce sujet-là à ce moment-là. L’originalité de la lecture de Gault est de montrer qu’il y a pourtant un recours, en quoi consiste justement l’oxymore fondamental du dire littéraire : c’est l’écart subrepticement infligé à la lettre du cliché. Quand quelque chose dérape dans l’expression du convenu, quand quelque chose cloche et fait faux pli dans l’énoncé du « bien connu », l’ineffable du sujet et du monde se met à faire signe. On y reconnaît parfois l’impulsion d’Éros. Elle fait fourcher la syntaxe de l’écrivain. Par lapsus, elle libère le lyrisme de l’homme ordinaire. Ada, Lolita et quelques autres ouvrent alors ses voies au roman. Sans espoir d’apprentissage, il est vrai. Sinon celui du renoncement à toute éducation, à tout pouvoir de dire le monde, fût-ce celui des sentiments. À moins, justement, qu’il se faufile, comme par inadvertance, au détour de formules consacrées.