Une langue sans qualité
L’idée que la langue qu’elle parle constitue l’identité d’une personne ou le fondement d’une nation est ici remise en question. Scientifiquement désuète, cette conception essentialiste du langage se retrouve pourtant dans beaucoup de discours institutionnels actuels : cela va du dépistage précoce des délinquants au thème de la mort des langues, alors que les recherches de terrain mettent au jour une tout autre réalité : les sujets parlants nouent à chaque instant avec autrui toutes sortes de relations langagières plurielles, dynamiques et libres. L’ouvrage incite à sortir d’une approche techniciste et culturaliste du langage. Loin de nous inscrire dans une origine, loin de définir notre culture, la parole est d’abord ce qui nous traverse. Elle-même sujet toujours en devenir, elle ne peut se réduire au statut d’objet homogène coupé de celui ou celle qui parle. Le lien communément admis entre langue et nation, langue et culture ou ethnie, langue et identité, qu’a voulu entériner le rapport Benisti, préalable à la création d’un ministre de l’Immigration et de l’Identité, ne doit-il pas être remis en question ? Comment laisser penser qu’on devient délinquant parce qu’on ne parle pas français à la maison ? Répondre clairement à ces questions nécessite un détour par la notion de langue qui semble s’être glissée dans le rôle descriptif et explicatif que tenait la race au XIXe siècle, avec les risques que l’on sait. Il faut remonter, pour la démonter, aux idéologies sous-jacentes afin de comprendre l’exaltation des qualités attribuées à la langue. Est-ce qu’au-delà d’en faire un objet scientifique, les sciences humaines n’ont pas une part de responsabilité dans l’homogénéisation, la réification, l’essentialisation des langues, et, à partir de là, dans la facilitation des usages abusifs qu’en font les politiques ?